"Chez nous" , un film salutaire

Publié le 24 Février 2017

“On est chez nous !”, hurlait la foule au meeting lyonnais de Marine Le Pen, contredisant de fait les cadres FN qui ont crié à la caricature à propos de ce film qu’ils n’avaient pas vu. Les protagonistes du film sont conformes à la réalité, voire en deçà. Lucas Belvaux a bien noté toutes les façons d’être d’extrême droite dans le contexte du marketing électoraliste de la dédiabolisation.

Pauline se voit proposer par le médecin Philippe Berthier, paternaliste, notable local, tout en séduction bourgeoise, pateline et machiavélique, et qui se révèle un cadre du parti nationaliste le « Bloc patriotique », de se porter candidate aux élections municipales. Alors « se battre pour les gens, pour notre famille et pas pour des idées », parce que « faire de la politique n’est pas un métier mais un engagement » ne peut laisser indifférente Pauline, si gentille et si dévouée. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si elle a été choisie. Elle fera une très belle « tête de gondole ». Quand elle proteste pour ne pas avoir été consultée sur le programme municipal, on lui répond qu'il est le même partout, avec "quelques adaptations", ce qui a été d'ailleurs la stricte réalité aux dernières municipales.

Et qu’importe si le racisme « au quotidien » peut surgir au détour d’un barbecue dominical sans que personne ou presque ne s’en soucie, Pauline se laisse tenter, ensorcelée par Mr le Docteur et le Bloc Patriotique. Il a accompagné sa mère jusqu’au dernier souffle, il a été une sorte de mentor, ils travaillent de concert .

À travers cette trame, le film vise moins à faire polémique en agitant des personnalités publiques qu’à mettre en évidence une certaine logique d’appareil et le climat délétère que celle-ci instaure dans le corps social. Logique, tout d’abord, d’une vaste opération de communication : l’extrême droite traditionnelle se présente sous un jour rassurant et républicain, cachant sous une rhétorique ripolinée (on conseille aux militants de remplacer le vocable de « bougnoule » par « racaille »), les vieilles casseroles du racisme et de la violence identitaire. Logique, ensuite, de la récupération populiste, les têtes du parti s’abritent derrière une proximité de façade avec les « gens normaux », mais à des fins purement électoralistes. Ainsi, Belvaux n’oublie jamais que derrière ces manœuvres réside un autre enjeu, celui de la consolidation de certaines hiérarchies sociales, le médecin notable posant en Pygmalion de l’infirmière issue de la classe ouvrière.

Lucas Belvaux excelle dans la démonstration. Sans crainte de prendre le risque de rendre attachants, qui du médecin paternaliste au grand cœur dont les idées semblent frappées au coin du bon sens, qui du skinhead repenti sauvé par l’amour, il démonte pièce par pièce les ressorts du populisme à la française et dissèque l’embrigadement idéologique avec une minutie chirurgicale. De la ratonnade à la réunion de cellule et ses conseils de vocabulaire, en passant par la chargée de communication qui fleure bon la manif pour tous ou les blogs internet, qui distillent la puanteur de la rumeur, rien de l’ineffable engrenage populiste, de ses vices et de ses travers ne sera épargné.

Co-écrit avec Jérôme Leroy, auteur du roman Le Bloc dont il est inspiré, le film fait la part belle au réel talent des deux comédiens principaux pour nous faire boire le calice jusqu’à la nausée si chère à J.P Sartre. Histoire d’une France d’aujourd’hui qui se cherche de l’espoir et jolie leçon d’électoralisme version « très mauvais aloi », « Chez nous » marque le retour d’un cinéma politique engagé qui faisait cruellement défaut dans le paysage. On y oscille entre répulsion et stupéfaction, on se fourvoie à son tour dans le piège, on s’attache mais quand tombe le couperet de l’odieuse réalité, on ne peut qu’applaudir. Mais, une fois la lumière revenue, ce n’est pas que du cinéma cette fois, c’est ici, c’est maintenant et c’est chez nous.

Le tableau de cet humus aux raisons et horizons divers qui finit par s’agréger et s’enkyster dans notre paysage politique est particulièrement bien vu ainsi que les scènes sur la mécanique interne du parti et son double langage. Dans ses meilleurs moments, le film tend la main au polar, avec ses scènes de surveillance, de filature, de chantage, de virées et d’âpres tractations nocturnes. Il donne ainsi un accès symbolique, et d’autant plus marquant, au rapport de force qu’un certain personnel politique exerce sur ses sujets, comme aux gestes de pouvoir qui président à ses agissements.

"Chez nous" , un film salutaire

Rédigé par nezumi dumousseau

Publié dans #cinéma, #politique

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